Les bienfaits maternels du lait de jument haut-normand

Julie Wabbes, agricultrice en Seine-Maritime, a reçu le prix des Talents du Goût 2006. Elle est la seule en France à produire du lait de jument frais pasteurisé.

Le pantalon jodhpur rentré dans les bottes, Julie Wabbes part aux écuries. Il est 14 heures précises, ses juments l'attendent en écoutant la radio. « J'ai lu des études anglaises sur les vaches qui se font traire en musique. Apparemment, ça améliore la production de lait », observe l'agricultrice, l'air moyennement convaincu, mais sûre que le fond sonore « rassure les animaux ».
Quoi qu'il en soit, la ferme Chevalait de Campneuseville, au nord de la Seine-Maritime, n'a pas vocation à faire du rendement. L'enseigne créée en 2003 est la seule en France à produire du lait de jument frais pasteurisé, réputé pour sa proximité avec le lait maternel. Chaque jour sauf le week-end, la dizaine de juments de trait fournit entre 30 et 40 litres, soit une moyenne de 150 l par semaine. C'est peu, mais « comme le produit n'a que sept jours de vie après la traite, il serait inutile de les fatiguer davantage. Elles sont aussi bien à s'occuper de leurs poulains », tranche Julie Wabbes, 41 ans.

« Pauvre en matières grasses »

Le lait du jour, pasteurisé sur place, sera livré dès le lendemain dans son réseau de distributeurs : des boutiques biologiques de Haute-Normandie, en région parisienne et depuis récemment à Deauville. La Grande épicerie de Paris, prestigieuse référence, fait partie de ses meilleurs clients. Combien pour un litre ? 12,85€. « Et encore, je casse les prix ! Il se vend jusqu'à 60 € le litre ! » fait remarquer Julie, intarissable sur les propriétés du produit.
« Pauvre en matières grasses, source naturelle de vitamine C et d'oméga 3, il est reconnu comme un alicament, assure-t-elle. De tous les laits animaux, c'est le plus proche du lait maternel. Il joue un rôle de régulateur gastrique, et de fait est très bien toléré par l'organisme. » Des quatre enfants de Julie, les deux petits derniers ont été nourris au lait de jument, qui aurait aussi des propriétés cosmétiques. Chevalait a donc développé une gamme de savons et de poudre pour le bain.

« Sentir la terre »

Fille d'un éleveur belge de pur-sang arabes, Julie Wabbes n'aimait que les gros chevaux. Entre 1988 et 1993, elle travaille comme assistante à la Commission européenne. D'abord dans l'industrie et la finance, ensuite à l'agriculture. « Je vivais à la campagne, j'avais acheté mon premier cheval de trait. » Là, elle prend conscience de « la distorsion entre les décisions prises dans un bureau et la réalité du terroir. On a retiré au paysan sa faculté de sentir la terre. »
Un temps commerciale pour une société productrice d'engrais (!), elle plaque le job pour s'installer en France avec mari et enfants. Aujourd'hui, elle finalise un projet d'expansion de son exploitation - une vingtaine de juments et deux étalons. L'entreprise n'est pas encore rentable, mais la production doit déjà monter en puissance d'ici la fin de l'année, à 250 litres hebdomadaires. Julie espérait un coup de pouce avec la semaine du goût. C'est fait.

S.G. (Paris-Normandie du Mercredi 18 Octobre 2006)